Bonjour
un texte décalé! pour ceux/celles qui, comme moi, ne connaissaient pas
ce matin j'écoutais Guillaume Gallienne parler de la visite de Victor Hugo en 1834 à François Arago
un petit crochet par Google plus tard...
quelques extraits du "Promontoire des songes"

je me rappelle qu’un soir d’été, il y a longtemps de cela, en 1834, j'allai à l’Observatoire. Je parle de Paris, où j’étais alors. J’entrai. La nuit était claire, l’air pur, le ciel serein, la lune à son croissant ; on distinguait à l’œil nu la rondeur obscure modelée, la lueur cendrée. Arago était chez lui, il me fit monter sur la plate-forme. D y avait là une lunette qui grossissait quatre cents fois ; si vous voulez vous faire une idée de ce que c’est qu’un grossissement de quatre cents fois, représentez-vous le bougeoir que vous tenez à la main haut comme les tours de Notre-Dame.
Arago disposa la lunette, et me dit : regardez.
Je regardai.
J’eus un mouvement de désappointement. Une espèce de trou dans l’obscur, voilà ce que j’avais devant les yeux ; j’étais comme un homme à qui l’on dirait : regardez, et qui verrait l’intérieur d’une bouteille à l’encre. Ma prunelle n’eut d’autre perception que quelque chose comme une brusque arrivée de ténèbres. Toute ma sensation fut celle que donne à l’œil dans une nuit profonde la plénitude du noir.
— Je ne vois rien, dis-je.
Arago répondit : — Vous voyez la lune.
J’insistai : — Je ne vois rien.
Arago reprit : — Regardez.
Un instant après, Arago poursuivit : — Vous venez de faire un voyage.
— Quel voyage ?
— Tout à l’heure, comme tous les habitants de la terre, vous étiez à quatre-vingt-dix milles lieues de la lune.
— Eh bien ?
— Vous en êtes maintenant à deux cent vingt-cinq lieues.
— De la lune ?
— Oui.
C’était là en effet le résultat du grossissement de quatre cents fois.

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Citation:

— Je ne vois rien.
— Regardez, dit Arago.
Je suivis l’exemple de Dante vis-à-vis de Virgile. J’obéis.
Peu à peu ma rétine fit ce qu’elle avait à faire, les obscurs mouvements de machine nécessaires s’opérèrent dans ma prunelle, ma pupille se dilata, mon œil s’habitua, comme on dit, et cette noirceur que je regardais commença à blêmir. Je distinguai, quoi ? impossible de le dire. C’était trouble, fugace, impalpable à l’œil, pour ainsi parler. Si rien avait une forme, ce serait cela.
Puis la visibilité augmenta, on ne sait quelles arborescences se ramifièrent, il se fit des compartiments dans cette lividité, le pâle à côté du noir, de vagues fils insaisissables marquèrent dans ce que j’avais sous les yeux des régions et des zones comme si l’on voyait des frontières dans un rêve. Pourtant, tout demeurait indistinct, et il n’y avait d’autre différence que du blême au sombre. Confusion dans le détail, diffusion dans l’ensemble ; c’était toute la quantité de contour et de relief qui peut s’ébaucher dans de la nuit. L’effet de profondeur et de perte du réel était terrible. Et cependant le réel était là. Je touchais les plis de mon vêtement, j’étais, moi. Eh bien, cela aussi était. Ce songe était une terre. Probablement, on — qui ? — marchait dessus ; on allait et venait dans cette chimère ; ce centre conjectural d’une création différente de la nôtre était un récipient de vie ; on y naissait, on y mourait peut-être ; cette vision était un lieu pour lequel nous étions le rêve. Ces hypothèses compliquant une sensation, ces ébauches de la pensée essayée hors du connu, faisaient un chaos dans mon cerveau.
Cette impression, c’est l’inexplicable. Qui ne l’a pas éprouvée ne saurait s’en rendre compte.


le texte complet
à la suite de cette visite, il écrivit un autre texte: "Les Choses de l’infini"

A deux cents millions de lieues de nous, dans cette ombre, il y a un globe. Ce globe est quinze cents fois plus gros que la Terre. Quelle est la grosseur de la Terre ? Pour traîner la Terre, il faudrait dix milliards d’attelages de dix milliards de chevaux chacun. Ce globe, c’est Jupiter. Nous le voyons, il ne nous voit pas. Notre globe est trop petit. Jupiter est couvert de nuages. Notre crépuscule est son plein midi. Il a une année de douze ans, un jour de cinq heures, une nuit de cinq heures, une seule saison, son axe étant à peine incliné, et quatre satellites. Ces satellites sont toujours tous les quatre sur son horizon ; quand l’un est croissant, l’autre est pleine lune. La prodigieuse vitesse de sa rotation use rapidement la vie ; évolution trop précipitée des organismes sur eux-mêmes, répétition trop fréquente des actes vitaux, frottement fatigant du mécanisme, sommeils courts. On meurt vite dans Jupiter. À partir de Jupiter, et pour toutes les régions au delà, les étoiles sont visibles le jour.

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Citation:

Cinq cents millions de lieues plus loin, il y a un autre globe, Oceanus. L’obscurité devient terrible. Oceanus a treize cents fois moins de lumière et de chaleur que la terre. Impossible de figurer cette glace et cette ombre. Doublez la grosseur de l’étoile du soir, vous aurez le soleil vu d’Oceanus. Oceanus est trente fois plus loin du soleil que nous. Or notre distance du soleil est ceci : la section d’un cheveu représente le diamètre de la Terre vue du centre du soleil. Oceanus est grand cent fois comme la Terre. Il a une seule lune. Son année dure cent soixante-quatre ans ; ses saisons durent quarante ans. Oceanus fait autour de l’étoile que nous appelons soleil un cercle de sept milliards de lieues.
Est-ce fini ?
Fini ! quel est ce mot ? Améliorez votre télescope, et vous verrez.
Ces effrayantes planètes obscures, échelonnées, au delà d’Oceanus, les unes derrière les autres, dans les profondeurs impossibles, vous les rêvez ? vous les constaterez.
D’ailleurs qu’importent les planètes ? Pourquoi y perdre le temps ? N’y a-t-il pas autre chose ? A côté de la planète, point lumineux mouvant, n’y a-t-il pas un point lumineux immobile ? C’est l’étoile. Allez-y.

le texte complet

pourquoi publier cela? j'ai été frappé par les similitudes entre ce lointain poète et les récits d'aujourd'hui